« MÉTHODOLOGIE DU TRAVAIL EN MÉDIATION/CONCILIATION »
… à quel juge sommes-nous promis ? … Comme indice, pas grand-chose Des roses et des orties.
Francis CABREL (2008)
Éric BATTISTONI ebattistoni@gemme.eu
Un premier méridien, c'est celui de BRUXELLES.
Dans son livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial [Acte publié le 19.04.2002 sous la référence COM(2002) 196 final], la Commission européenne prévoyait déjà la nécessité d’une bonne articulation entre, d’une part, les accords qui seraient issus de la justice consensuelle, et d’autre part, la place réservée au droit ou à l'institution judiciaire lors du franchissement de la porte de l’ « exécution forcée », par ces accords :
la validité de l'accord pourrait être contrôlée et à l'issue de laquelle cet accord pourrait se voir conférer la valeur d'un titre exécutoire.
Un second méridien, c'est celui de PARIS.
Le pouls de la justice française, c'est une succession de battements du cœur judiciaire, au rythme des rapports demandés par le Garde des sceaux. Notre examen se limitera au rapport déposé le 30 juin 2008 par le doyen Serge GUINCHARD (« rapport GUINCHARD ») et au rapport déposé le 10 octobre 2008 par le Premier Président Jean-Claude MAGENDIE (« dernier rapport MAGENDIE »).
En son discours lors de la remise du rapport à Madame le Garde des sceaux, le doyen GUINCHARD révèle que « la déjudiciarisation constituait un axe fort de la lettre de mission » ; les propositions du rapport GUINCHARD mettent donc l'accent sur la conciliation et la médiation, en tant que procédures de substitution extrajudiciaires.
Certes, l’idée n’est pas totalement absente qu'une articulation est nécessaire entre le contrat et le juge, mais selon le rapport, cette relation s’articulera sur une charnière pré- judiciaire, à savoir le travail des auxiliaires de justice. Au-delà, le concept d'homologation en cas d'accord n'est pas approfondi. Dans son discours de remise du rapport, le doyen GUINCHARD précise à cet égard : «… dans le prolongement du développement de la conciliation et de la médiation, que nous souhaitons par
ailleurs, notamment en matière familiale, nous proposons un tout nouveau mode de résolution des conflits, la « procédure participative de négociation assistée par avocat ». C’est une procédure très originale qui nous vient du droit québécois, mais avec des adaptations pour marquer que les avocats remplissent ici leurs fonctions traditionnelles d’assistance aux parties dans le cadre d’une négociation entre les parties, préalablement à la saisine du juge ; en cas d’échec partiel ou total, une passerelle vers la saisine simplifiée de la juridiction compétente est prévue, afin de permettre un traitement accéléré de l’affaire. Cette procédure se rattache au précontentieux. D’une manière futuriste, certains y verront peut-être le bastion avancé du juge qui laisse les avocats, sans même que le juge en ait connaissance, décanter un litige, instruire l’affaire en quelque sorte, avant de venir vers lui, soit pour une homologation en cas d’accord, soit pour qu’il tranche le litige. Mais le temps passé à négocier ne sera pas perdu, même en cas d’échec ; grâce à la passerelle, cette procédure négociée devient une procédure pré-judiciaire, qui s’intègre dans un ensemble plus vaste … »
Dans la synthèse du rapport GUINCHARD, sous l'intitulé « PROPOSITIONS EN MATIERE DE DEJUDICIARISATION ET D’ALLEGEMENT PROCEDURAL », on lit les suggestions suivantes en vue du « DEVELOPPEMENT DES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES LITIGES » :
« 47) Création d’une nouvelle procédure de règlement amiable des litiges : la procédure participative de négociation assistée par avocat. Cette procédure devrait permettre de faciliter le règlement amiable des litiges, sous l’impulsion des avocats ; en cas d’échec partiel ou total de la négociation, une passerelle vers la saisine simplifiée de la juridiction permet un traitement accéléré de l’affaire (observations et pièces des parties figurant dans l’acte de saisine).
« 48) Développement de la conciliation : la Commission recommande la consécration de la place des conciliateurs de justice dans le procès civil et l’organisation judiciaire, avec :
« 49) Conforter la médiation par :
« 50) Création d’un dispositif public de médiation familiale extrajudiciaire, aux fins de garantir la présence de services de médiation familiale sur l’ensemble du territoire et d’assurer la qualification et le contrôle des médiateurs, ainsi que la prise en charge financière de la médiation. A cette fin, la Commission préconise de s’appuyer sur l’expertise acquise par la Caisse nationale des allocations familiales et la Caisse de mutualité sociale agricole et d’associer les différents ministères concernés.
« 51) Consacrer la pratique de la double convocation en matière familiale, comme en matière de conciliation
« 52) Obligation de recourir à la médiation familiale pour les actions tendant à faire modifier les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, précédemment fixées par une décision de justice. … »
2) « Le dernier Rapport MAGENDIE » (intitulé « Célérité et qualité de la justice. La médiation : une autre voie »)
Dans son chapitre 4 Perspectives et propositions, ce rapport aborde la question des complémentarités nécessaires entre l'axe contractuel et l'axe judiciaire d'une médiation : «… en tant qu’alternative au règlement juridictionnel du litige, la médiation (tant dans son processus que
dans son résultat) ne peut s'affranchir du respect de certaines règles de droit, mais ce qui fait sa force, son originalité et son efficacité, c'est la part qui est nécessairement réservée aux relations humaines et aux considérations psychologiques, sociologiques et économiques dans la recherche
d'un accord... »
Pour améliorer l'implantation de la médiation dans les juridictions, plusieurs propositions sont envisagées, dont notamment la clarification de cette articulation problématique entre la liberté contractuelle et l'institution judiciaire :
sont nombreux disparates, parfois mal appliqués … À ces textes, il faudrait ajouter les questions relatives au statut fiscal de l'accord et à son traitement au regard des cotisations sociales.
• « La réforme la plus ambitieuse consisterait en réalité à remettre à plat l'ensemble des modes alternatifs et judiciaires de règlement des conflits (c'est-à-dire toutes les conciliations et médiations intervenant dans le cadre judiciaire) pour simplifier le système et le rendre davantage cohérent,
notamment pour ce qui concerne le statut juridique de l'accord.»
Des grandes lignes méridiennes ci-avant, deux malaises ressortent :
1) L’incertitude quant à la place du juge face aux accords de médiation/conciliation.
Faut-il une intervention active du juge ? Ou vaut-il mieux qu’il s’abstienne de tout apport, se cantonnant dans la passivité ? Homologuer : que faire et comment ?
2) Le besoin de formation du juge et de ses auxiliaires. Exit le droit pur ; les relations humaines, les considérations psychologiques, sociologiques et économiques font leur joyeuse entrée dans l’institution judiciaire. Mais, dès lors qu’en justice consensuelle, le juge et ses auxiliaires ne font plus seulement œuvre juridique, quelle sera la méthode de travail de ces acteurs ?
1) La première de ces deux difficultés transparaît dans le grand brouillard qui descend sur le juge, au moment où les accords issus de la justice consensuelle se présentent pour franchir la porte judiciaire. Il convient de s’en préoccuper : Une simple demande d’homologation garantirait-elle déjà l’obtention de celle-ci ? Le juge disposerait-il d’une certaine marge de manœuvre ? Laquelle ?
Aucune réponse légale précise, aucune certitude, beaucoup de conjectures. Il semble donc bien que la détermination d'un contrôle par le juge constitue l’une des pierres d'achoppement sur le chemin de la justice consensuelle. Par exemple, chacun admet aujourd'hui qu’un contrôle judiciaire doit s'exercer pour vérifier le respect de l'ordre public par les accords issus de la négociation ; toutefois, nul ne sait précisément où commencent et où se terminent les critères soutenant le respect de cet ordre public. Il s’agit donc d’un terrain marécageux ! Par exemple encore, certains pensent que les déséquilibres graves entre deux contractants d’un accord de médiation/conciliation, sont susceptibles de miner la validité de l’accord. Pour d’autres, ces déséquilibres sont sans importance : un contrat c’est un contrat. Convient-il que le substitut de procès, soit lui-même une alternative équitable au sens de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ? Pour le comprendre, il paraît utile de revenir aux points cardinaux de la justice : une justice alternative ne peut jamais devenir une alternative au juste ! Un extrait du Traité sur la tolérance de Voltaire nous le rappelle opportunément :
« Le droit naturel est celui que la nature indique à tous les hommes. Vous avez droit aux productions de la terre que vous avez cultivée par vos mains. Vous avez donné et reçu une promesse, elle doit être tenue. Le droit humain ne peut être fondé que sur ce droit de nature ; et le grand principe, le principe universel de l'un et de l'autre, est, dans toute la terre : ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît ... Le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c'est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent jamais que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des
paragraphes.»
2) La seconde difficulté apparaît en filigrane derrière nos deux méridiens. Tous ces rapports veulent nous convaincre du grand besoin de formation des magistrats et de leurs auxiliaires, pour se préparer à la tâche qui les attend. Cette insistance est significative du changement qui s’avérera nécessaire dans les esprits, notamment pour les méthodes de travail. Il convient d’y consacrer notre attention, également.
La justice consensuelle (dès que sa configuration appelle un tiers) peut se définir comme une procédure d'accompagnement de négociations, destinée à mettre fin à un conflit (par exemple, sous la forme d'un accord de type transactionnel, ou sous d’autres formes comme une abdication sans condition). En quoi concerne-t-elle le juge ?
Lorsque la configuration du mode alternatif demeure purement extrajudiciaire, aucun encadrement institutionnel n'est prévu, aucune intervention du juge ne grèvera le processus.
En revanche, lorsque la configuration implique une intervention institutionnelle pour que l'accord soit revêtu d'un titre judiciaire, surgit une première salve de questions :
Si l'on admet que l'homologation des accords issus de la négociation suppose plus qu'un regard judiciaire passif, l’encadrement institutionnel appellerait alors « un certain contrôle par le juge » dans la mesure où ce dernier remplirait une fonction d'autorité et où il ne pourrait pas rester aveugle en face de certaines situations. Mais lesquelles ?
Surgit ici une seconde salve de questions :
Surgit encore une troisième salve de questions, à propos des effets juridiques de l'acte posé par le juge. Derrière l'homologation judicaire, selon ce que le juge a injecté comme dose de contrôle, on pourrait retrouver en quantité et en qualité différentes, certains attributs des jugements, dans le corps du contrat issu de la négociation :
Plusieurs parmi les réponses à ces questions trouveront le consensus quasi unanime des praticiens du droit et de la justice. En revanche, certaines réponses ne manqueront pas de les interpeller sinon même de les diviser. Plus particulièrement, cette contradiction pourrait déjà se cristalliser dès les premières questions de géométrie, variable dans l’intensité du contrôle des accords par le juge :
En pratique, on imagine aisément les difficultés très concrètes qui vont surgir en aval des accords de médiation/conciliation, lorsque ces derniers seront soumis à l'homologation du juge :
1) Le juge doit-il examiner la régularité formelle de la procédure judiciaire d'homologation ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il si sa compétence matérielle est sauve, si le siège est composé comme la loi l'exige pour statuer sur le litige concerné, ...
Autres exemples à noter :
2) Le juge doit-il examiner la régularité formelle du processus de négociation ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il si le médiateur qui accompagnait les protagonistes durant la négociation, avait été valablement agréé par l'autorité administrative habilitée à cette fin ?
Autres exemples à noter :
3) Le juge doit-il examiner la régularité formelle de l'accord né d’une négociation ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il si le consentement des deux parties à l'accord est un consentement personnel, ou un consentement entre absents (par exemple, au travers de « caucus » successifs), ou un consentement par représentation (et en ce cas, si les mandataires disposaient d'une procuration valable) ?
Autres exemples à noter :
4) Le juge doit-il examiner la conformité de l'accord né d'une négociation, par référence à la volonté procédurale des contractants ? Par exemple, le juge doit-il vérifier que l'accord n'est pas incompatible avec le référentiel qui a servi de guide au cours du processus de négociation ? En d'autres mots, le juge doit-il vérifier le bon respect de l'intention des parties quant au "point focal" des négociations qu’ils ont consenties :
se référer à la loi et la jurisprudence applicable à des cas semblables ? se référer seulement à des repères d'équité ?
Autres exemples à noter :
5) Le juge doit-il examiner la légalité de l'accord né d'une négociation ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il le respect de l'ordre public de direction ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il le respect de l'ordre public de protection ? Par exemple, vérifiera-t-il aussi la nature des droits qui furent négociés : étaient-ils entièrement et librement disponibles ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il encore le respect de l'ordre public procédural (« les qualités minimales que doit recouvrir le substitut d'un procès équitable européen »). Par exemple enfin, le juge vérifiera-t-il si les accords apparaissent respectueux des droits manifestes des tiers ?
Autres exemples à noter :
6) Le juge doit-il examiner l'équité du processus des négociations ? Par exemple, le juge vérifiera-t-il si les parties étaient en position d’égalité, sans pression démesurée sur l’une d’elle, toutes deux convenablement informées au sujet des droits et des libertés auxquels il fut renoncé ? Et en cas de déséquilibre par exemple, cet examen devrait-t-il rester plus superficiel lorsque les parties furent assistées par un conseil professionnel ?
Autres exemples à noter :
7) Le juge pourrait-il examiner l'opportunité de l'accord auquel a abouti la négociation ? En d'autres mots, le juge aurait-il la faculté de vérifier si les contenus de l'accord se révèlent inéquitables ?
Il ne s'agirait plus ici d'un examen de nature exclusivement juridique mais d'un contrôle plus large d'acceptabilité éthique (veiller au caractère durable et soutenable des accords à exécuter).
Autres exemples à noter :
Nos textes législatifs nationaux autorisent les justiciables à recourir à la justice consensuelle ; ils incitent les juges à favoriser la conciliation entre les justiciables, ou à inviter les justiciables à recourir aux conciliateurs ou aux médiateurs que le juge leur déléguerait. Pour les litiges transfrontaliers, la directive européenne de 1008/52/CEE du Parlement européen et du Conseil incite les États membres à fournir une semblable faculté.
Cette panoplie réglementaire risque d'avoir un jour pour effet qu'un justiciable imaginatif exigera d'un juge peu enthousiaste, le service d’une autre méthode de justice que celle à laquelle ce juge est accoutumé. Anticipant ce futur peut-être prochain, ce n'est pas sans bonnes raisons que tous nos méridiens convergent vers un même point de chute : la formation des magistrats et des auxiliaires de justice à un nouvel esprit, à de nouvelles méthodes de travail. Il faut préparer tous ces acteurs potentiels d’une future justice consensuelle. Or s'il y a formation nécessaire, c'est que donc il y a professionnalisation !
En d'autres mots, le service professionnel de justice se dédouble. On connaissait déjà la responsabilité du magistrat qui refusait ou tardait à rendre son jugement. Désormais, on pourrait connaître la responsabilité du magistrat qui refuse de concilier ou qui homologue inadéquatement un accord issu de la négociation !
Les réflexions qui suivent, se focaliseront sur la prestation de conciliation par le juge. Hormis la forme, rien de fondamental ne distingue cette prestation, par rapport à la prestation d'un conciliateur ou d'un médiateur délégué par le juge.
Nous examinerons successivement : 1) la représentation mentale de son métier par le juge car cette image de nature cognitive pourrait freiner le dédoublement de la fonction judiciaire ; 2) les éléments de méthode d’un travail de conciliation judiciaire :
que faut-il faire ? 3) dans quel but ? 4) comment le faire au mieux ?
Chacune de nos représentations mentales cartographie notre perception de la réalité.
Le problème de la cartographie, ce sont les modifications constantes des voies de communications. La difficulté d'une reconfiguration du travail judiciaire, est pareille : comment baliser les nouveaux chemins pour qu’on les emprunte d’un pas bien assuré ?
Vendredi dernier, un psychologue m’expliquait le cas d'un garçon (âgé de cinq ans en 2001) qui ne parlait pas et se faisait comprendre par gestes comme s'il était sourd-muet. Le diagnostic d'un centre de santé mentale, affirmait que cet enfant était autiste et il y était d'ailleurs traité pour cette pathologie spécifique. Ce psychologue scolaire avait été consulté par les parents de ce garçon, au moment où prenait fin son enseignement maternel en 2001. Le psychologue comprenait ces parents qui craignaient pour leur fils, car l’autisme rendait nécessaire une orientation vers l’enseignement primaire spécialement organisé pour les enfants handicapés. Il demanda aux parents le dossier psycho-médical constitué par le centre, afin de pouvoir les guider éventuellement vers d’autres praticiens traitant. Sous prétexte du secret professionnel, mais probablement dans le but qu'ils ne puissent consulter d'autres professionnels, le centre de santé mentale refusait même de délivrer aux parents, le dossier de leur enfant.
Sur le conseil du psychologue scolaire, les parents se sont alors rendus à BRUXELLES, à l'hôpital Érasme où ce type de trouble est diagnostiqué par une équipe pluridisciplinaire internationalement réputée. Et là, il s’est révélé que l’enfant ne souffrait pas d'autisme mais simplement de dysphasie1. Celle-ci se rééduque grâce à des soins logopédiques (pendant quatre années, dans le cas d’espèce). Au contraire, une orientation dans l'enseignement spécial pour handicapés aurait probablement aggravé le décrochage social et scolaire, généré par les troubles langagiers dont souffrait l’enfant.
En septembre 2008, le garçon (âgé de douze ans) entre à l'école secondaire et, au détour d'un couloir, il reconnaît son ancien psychologue scolaire. Il lui explique son évolution et ses bons résultats scolaires actuels, avec un langage dépourvu de toute imperfection et aussi, avec une grande reconnaissance !
Dans cet exemple, le problème apparent se place au niveau de l’erreur de diagnostic et de l’erreur du traitement préconisé par le centre de santé mentale. Mais le problème véritable pourrait se situer au second degré. Car en effet, rien ne nous permet d’affirmer que les professionnels du centre de santé mentale ont méconnu les méthodes du dépistage ordinaire à l’époque, par exemple si leurs grilles traditionnelles de diagnostic mésestimaient la dysphasie et surévaluaient l’autisme.
Si tel était le cas, le vrai problème découlerait alors d’une trop grande rigidité dans les représentations mentales lorsqu’elles modèlent notre fonction au service du groupe.
Ces représentations sociales (puisqu’elles sont partagées par un consensus majoritaire) se trouvent mises en tension entre deux pôles antinomiques, à savoir d’une part, le besoin d’une plasticité évolutive, et d’autre part, des méthodes professionnelles éprouvant un besoin de sécurité qui les norme et les régule.
Or, à partir d’un certain degré de sécurité, nos règles de l’art tendent à se figer en tradition et à consacrer une certitude épistémologique. Tradition et certitude sont deux puissants freins intellectuels retardant l’adaptation et l’évolution de nos méthodes de travail, même si à partir d’un certain moment, une adaptation est devenue objectivement nécessaire.
Actuellement, les juristes praticiens sont confrontés à un véritable réchauffement climatique du monde de la justice, plus particulièrement touché dans ses méthodes :
• Quel est l’impact de la justice consensuelle sur les méthodes de travail du juge ?
Dans la foulée de cette première interrogation, deux autres questions se profilent :
1 Il s’agit d’un déficit des performances verbales en regard des normes liées à l'âge de l'enfant. Ce trouble est lié à un dysfonctionnement des structures cérébrales spécifiquement mises en jeu lors du traitement de l'information langagière. La dysphasie peut devenir un trouble structurel mais, en aucun cas si elle est soignée, une dégradation irréversible.
11
Alors que, depuis plus de deux cents ans, les concepts de droit et de justice furent intiment associés et qu’ils étaient même devenus inséparables (ne qualifiait-on pas les professionnels de « praticiens du droit et de la justice »), la dissociation des deux concepts entraîne des réactions de scission nucléaire :
Cette raideur de nos cartographies mentales a pour résultat un réel paradoxe :
Nous avons vu qu'entre ces deux représentations mentales extrêmes, notre première difficulté conceptuelle était de trouver l'ajustement, l’articulation, la nécessaire collaboration entre l'axe institutionnel (un encadrement judiciaire des accords de médiation/conciliation) et l'axe contractuel (la libre négociation d'une solution au conflit).
Dans un second temps, après que cet ajustement aura été convenablement opéré, il faudra nous demander si les méthodes de travail traditionnelles peuvent satisfaire aux nouvelles règles de l'art, et dans le cas contraire, comment identifier la bonne méthode ? En d'autres mots, notre seconde difficulté consistera à sélectionner une méthode de travail qui soit accessible pour des juristes subitement plongés dans le monde de la complexité humaine.
Quelle méthode pour quel travail ?
2) Éléments méthodologiques en vue du travail de conciliation judiciaire :
a) LA SUBSTANCE D’UN CONFLIT : des relations humaines problématiques
Un conflit est l’expression d’une tension relationnelle qui perturbe les rapports humains. Plus précisément, une relation humaine devient problématique lorsqu'elle est gangrenée par un sentiment d'injustice. Notre réflexion part du postulat que les antagonismes humains découlent toujours d'un sentiment d'injustice, d’une indignation.
Suivant ce postulat, l'impression d'injustice constituerait donc l'élan vital du conflit : c'est là le ressort qui pousse l'un des protagonistes à s'opposer à l'autre et à devenir son adversaire. Ce sentiment d'injustice est un puissant moteur de l'être humain, à cause de l'intensité de l'émotion provoquée par le sentiment d'indignation, qui apparaît un trouble spontané et universel (même si ses causes concrètes peuvent diverger d'une culture à l'autre).
Ce postulat, parmi d’autres, nous apparaît un modèle conceptuel possible. Nous tenterons de tirer hors de ce modèle, une voie praticable de travail.
b) LE DOUBLE RÔLE DU JUGE : le diagnostic et le traitement des conflits
En premier lieu, les praticiens du droit et de la justice devraient saisir la substance du conflit (c'est-à-dire l'origine de la tension relationnelle).
Nous entendons par les mots « substance exacte d'un conflit », tous les aspects du conflit dont doivent se rendre compte les protagonistes pour pouvoir ensuite régler leurs difficultés d'une manière conforme à leurs sentiments réciproques de justice. Dans notre conception, les praticiens du droit et de la justice ont à diagnostiquer le sentiment d’injustice, c’est-à-dire la raison profonde pour laquelle une personne se plaint d’être en conflit. Et l’endroit fragile dans la relation humaine devenue âpre, laisse alors apercevoir la source qui alimente le conflit. C'est là précisément qu'est attendue la pacification judiciaire.
En second lieu, les praticiens du droit et de la justice devraient apaiser les sources de la tension relationnelle.
Les mots pacification judiciaire visent le traitement de la relation conflictuelle par l'institution judiciaire, suivant le mode le mieux approprié : à savoir tantôt d'une manière autoritaire, tantôt d'une manière consensuelle (soit d'initiative propre, soit par l'action de ses auxiliaires médiateurs/conciliateurs).
3) Éléments méthodologiques en vue du travail de conciliation judiciaire :
L'action des praticiens du droit et de la justice devrait viser : soit à imposer une solution conforme à la loi, soit à aider les protagonistes dans la négociation d'une solution acceptable pour eux (et peut-être aussi, aux yeux de l'institution judiciaire).
En toute hypothèse, « le traitement d’un conflit » supposerait : que celui qui subit le jugement, ait la conviction que la solution est non seulement légale, mais aussi légitime ; que celui qui accepte l'accord négocié, ait la conviction que la solution est non seulement équitable, mais aussi légitime.
Traiter un litige ou un conflit, c'est donc aussi déployer une pédagogie de la légitimité !
La légitimité mène en principe vers l’intériorisation (la « subjectivation ») et l’acceptation par celui qui en est le sujet, de la solution imposée ou négociée. Ainsi, la légitimité est une représentation mentale des concessions qui doivent être consenties par un individu au détriment de son autonomie, pour coexister en groupe. Si le poids des concessions apparaît intolérable (par exemple, discriminatoire ou indigne), l’acceptation de la solution ne sera pas acquise durablement.
Par quels moyens pratiques, le juge (et ses auxiliaires de justice) vont-ils pouvoir, dans un jugement ou dans un processus de justice consensuelle, activer cette légitimité ?
Les actes posés en vue d'améliorer la légitimité portent le nom de «légitimation». La légitimation d'un acte d'autorité a pour finalité d’inspirer une meilleure acceptabilité par son destinataire, des comportements imposés d’autorité. La légitimation se conçoit dès lors comme une mise en concordance entre la décision autoritaire, et les valeurs fondamentales qui modèlent le comportement du sujet soumis à cette décision.
Pour cela, il faut : que la décision prise par l'autorité ait un sens (« qu'elle soit rationnelle ») aux yeux du sujet, que ce sens apparaisse éthiquement admissible au sujet (c'est-à-dire « conforme au juste »), que le comportement imposé par cette décision corresponde à un comportement normal au regard du bien commun (c'est-à-dire « conforme au bien »).
Pour réussir la mise en concordance d'une décision judiciaire avec les valeurs du sujet, il faut un « processus de subjectivation », c'est-à-dire un dispositif qui, « à travers une série de pratiques, des discours, de savoirs et d'exercices, vise à la création de corps dociles mais libres, de sujets assumant leur identité et leur liberté de sujet dans le processus même de leur assujettissement ».
Tout processus de subjectivation correspond à une prise de conscience par le sujet, qu'un ordre donné doit être exécuté parce que « il y a de bonnes raisons » pour cela.
Ces bonnes raisons coïncident avec la rationalité du sujet : tout sujet qui est confronté à un choix, développe une procédure intellectuelle de sélection et cette sélection s'opère en fonction de préférences qui sont rationnelles, c'est-à-dire que ces préférences répondent à des raisonnements, qu'elles ont confronté des raisons de sélectionner ou d’éliminer telle décision, telle action.
Les préférences de chaque sujet sont susceptibles d'être inventoriées mais le sujet lui-même est le seul décideur à pouvoir fixer l'ordre de ses priorités.À cause de cela, n'importe quel processus de légitimation fait appel à une espèce de « codécision », peu ou prou. Les raisons qui vont déterminer le choix du sujet devenu co-décideur, relèvent de plusieurs domaines qui s'interpénètrent ; c'est pourquoi on parle de « rationalité complexe »:
la rationalité instrumentale regroupe toutes les raisons qui découlent de la recherche d'une utilité maximale ou d'un profit maximal ;
la rationalité stratégique regroupe toutes les raisons qui font qu'un individu se comporte en fonction des actions entreprises par les autres individus ;
la rationalité cognitive regroupe toutes les raisons qui découlent des croyances et des représentations mentales d'un individu (modelées par le système social, culturel, économique, politique,...) ;
la rationalité axiologique regroupe toutes les raisons qui découlent des valeurs morales auxquelles un individu a décidé de se conformer.
4) Éléments méthodologiques en vue du travail de conciliation judiciaire :
a) Comprendre les raisons de se sentir injustement considéré ( l'indignation éthique)
b) Comprendre les raisons de vouloir cesser de s'entendre et de vivre ensemble
(c'est-à-dire diagnostiquer l'indignation éthique)
L’inventaire des indignations éthiques regroupe, selon Paul RICOEUR, tous les rejets relationnels qu'un individu opère parce qu'il s'estime victime d’une rupture aux principes de justice individuelle : «... Notre première entrée dans la région du droit a été marquée par le cri "C'EST INJUSTE"! Or rappelons-nous ce que furent les situations typiques où notre indignation s'est enflammée :
Ce furent, d'une part, des partages inégaux que nous trouvions inacceptables …
Ce furent, d'autre part, des promesses non tenues qui ont ébranlé pour la première fois la confiance innocente que nous avions dans la parole sur laquelle reposent tous les échanges, tous les contrats, tous les pactes.
Ce furent encore des punitions qui nous paraissaient sans proportion avec nos larcins supposés, ou des éloges que nous voyions arbitrairement échoir à d'autres que nous ; bref, des rétributions non méritées.»
En synthèse, quatre pistes nous permettent de remonter à la substance du conflit :
Par rapport à une instruction d'audience, l'avantage de la conciliation par le juge est double : tout d'abord, le temps disponible est plus important et il permet d'obtenir une verbalisation plus explicite quant à l'origine de la tension relationnelle ; ensuite, lorsqu'un protagoniste a pu verbaliser devant l'autorité son sentiment d'injustice et les causes qui l'ont provoqué, il est devenu mieux disposé à l'égard des dispositifs de légitimation par l'autorité (certainement parce que la tension est retombée, mais surtout parce qu'il a pu apporter sa propre contribution à la solution du litige).
Toutefois, toutes les tensions relationnelles ne trouvent pas toujours leur cause dans une indignation d'équité individuelle, qui est une tension née dans la relation d'un individu à un autre individu. Certaines tensions relationnelles proviennent de problèmes nés à l'occasion du fonctionnement d'un groupe, parce que la hiérarchie et l'autorité n'ont pas bien décidé ou agi, parce que l'action collective n'a pas été convenablement coordonnée.
Lorsque les tensions relationnelles trouvent leur origine dans le fonctionnement de l’organisation collective, l'inventaire ci-avant des indignations éthiques ne suffit plus. Il faut utiliser une grille de diagnostic plus élaborée qui se réfère à des principes généralement partagés de justice et de bien commun :
1) chaque problème de tension relationnelle découle d'une atteinte à un principe de justice car, dans les tensions qui les opposent, les personnes se réfèrent toujours à un principe de justice.
3) Les individus agrègent toutes ces représentations personnelles en les assimilant à la normalité/normativité. Entre plusieurs décisions ou actions « légitimes », les individus fixent leur ordre de priorité et sélectionnent celles qui correspondent le mieux à un comportement normal et légitime.
4) Chaque modèle personnel de normalité/normativité comprend un « registre des conduites » (versant décisionnel) et un « registre des justifications » (versant explicatif). Les registres de conduites sur la base desquels les personnes formulent une dénonciation, et les registres de justifications ne sont pas en nombre infini. Ces registres de conduites et ces registres de justifications peuvent faire l'objet d'un inventaire. Les individus s'affrontent parce que leurs choix et leurs priorités relèvent de différents registres ou parce que leurs choix sont différemment dévolus à l'intérieur d’un même registre.
5) Toute personne peut accepter de prendre du recul par rapport à ses décisions, à ses actions, à ses relations conflictuelles. Toute personne a ensuite, dans cet esprit d'objectivité, la capacité de formuler une dénonciation blâmant l'atteinte à un principe de justice. Toute personne a enfin, dans cet esprit d'objectivité, la capacité de formuler une justification en réponse à une telle dénonciation.
6) Les choix et les priorités opérés à l'intérieur des registres de conduites et des registres de justifications, peuvent être examinés SYMÉTRIQUEMENT, abstraction faite de la suprématie que leur attribuent les personnes en conflit.
Si l'on admet que les justiciables ont aussi le droit à une justice consensuelle dans le traitement judiciaire de leur conflit, il faut alors leur reconnaître un droit corrélatif à la qualité du service de diagnostic et de traitement de leur conflit, ainsi qu'un droit à la compétence des professionnels du droit et de la justice auxquels ils se réfèrent.
C'est pourquoi il convient que ces praticiens du droit et de la justice prennent en compte toutes les obligations professionnelles qui découlent pour eux de ce dédoublement de leur service judiciaire :
pour les avocats, il y aurait lieu d’opérer immédiatement une sélection du meilleur mode de règlement du conflit qui leur est soumis. S’ils conseillent le recours à la justice consensuelle, il leur faudrait alors fournir un bon éclairage au sujet de la règle de droit et au sujet de la règle d'équité. S'ils accompagnent un client au cours des négociations en vue d'une conciliation ou d'une médiation, il leur faudrait alors mettre en évidence les processus qui sont à l’œuvre et appuyer l'action de légitimation du conciliateur ou du médiateur.
pour les juges, une adaptation de leurs représentations mentales apparaitrait immédiatement nécessaire ;
pour les juges conciliateurs, pour les conciliateurs et pour les médiateurs, il conviendrait de recourir à une grille méthodologique suffisamment éclairante pour diagnostiquer et pour traiter les tensions relationnelles qui leur sont soumises.
pour les juges homologateurs, il leur faudrait ouvrir une voie délicate de cheminement, poser les bonnes questions et prendre le risque des premières réponses.
En professionnalisant toute ces exigences, les praticiens du droit et de la justice fourniront une réponse dynamique et moderne aux multiples besoins de justice pour lesquels ils sont sollicités, et sans doute ils apporteront, en pleine responsabilité, un service mieux approprié aux valeurs, aux intérêts, aux nécessités ou aux émotions des justiciables qui se réfèrent à eux.