LA CONCILIATION



J’ai mené pendant 3 ans une expérience, assez poussée, de conciliation judiciaire au sein du tribunal de grande instance de Limoges que j’ai présidé ; j’ai,ensuite, présidente de chambre à la Cour d’appel de Versailles, (chambre traitant des procédures d’exécution et de toute la chaîne de l’endettement -de droit civil- hors les crédits à la consommation), poursuivi cette expérience en concertation avec les avoués puis depuis ma nomination à la Cour d’appel de Paris -à peine 10 mois- où je préside une chambre chargée des contentieux centrés sur les relations, dans le champ commercial, entre bailleurs et locataires ainsi que des actes ayant trait à l’achat de fonds de commerce, la promesse d’une telle cession, les locations gérances et des relations commerciales, ou à connotation commerciale, de type varié.


Par ailleurs, j’ai depuis le début de mon implication dans les démarches de conciliation, eu des contacts avec la pratique québécoise, qui bénéfice actuellement d’une dizaine d’années de vie.


Je puis, ainsi, dresser un bilan en formant le souhait d’une évolution des pratiques vers plus de conciliation judiciaire. En effet, qu’est ce qui fait le coeur du métier de juge? Selon Paul Ricoeur, il s’agit dans le temps immédiat de trancher, de mettre fin à l’incertitude d’un conflit, puis dans le plus ou moins long terme, d’apporter l’apaisement social ; le temps immédiat de justice n’est pas plus important que l’échéance d’apaisement social à laquelle, il convient, à mon sens, d’apporter une importance cruciale.




Rappel des textes :


article 21 du Code de procédure civile : “Il entre dans la mission du juge du concilier les parties


article 128 : “La conciliation est tentée, sauf disposition particulière, au lieu et au moment que le juge estime favorable


Article 130 : “La teneur de l’accord même partiel, est constatée dans un procès verbal signé par le juge et les parties


Article 131 : “Des extraits du procès verbal constatant la conciliation peuvent être délivrés ; ils valent titre exécutoire


Article 384 : “...Il appartient au juge de donner force exécutoire à l’acte constatant l’accord des parties, que celui-ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors sa présence


Article 3 de la loi du 9 juillet 1991 : “ seuls constituent des titres exécutoires:

...3° les extraits des procès verbaux de conciliation signés par le juge et les parties...”



L’expérience de conciliation à la Cour


Mon expérience, à Limoges qui avait fait l’objet d’une entente préalable avec le barreau, ma permis d’affirmer que la conciliation par le juge était possible (même dans des cas présentés comme désespérés), efficace, valorisante pour tous (juge, avocats, parties) et tout particulièrement pour l’image de la justice et permettait, contrairement à ce qui se dit, d’économiser du temps non seulement du temps de justice mais encore du temps de juge.


De quoi s’agit-il?


Proposer aux justiciables -après un tri préalable afin de dégager les dossiers paraissant éligibles de cette démarche- une conciliation par le juge leur permettant de mettre fin à leur litige et si possible à leur conflit, ou à tout le moins une partie de celui-ci.


Cette pratique s’est déclinée ainsi :


  1. Première étape : je présente deux pratiques la mienne et celle d’un collègue de ma chambre -ayant exercé dans le passé des fonctions dans une chambre de la famille et s’étant inspiré des pratiques de celle-ci, en la matière :


* la mienne : elle se décline (ou s’est déclinée) de façon variée

- à l’audience après avoir écouté les plaidoiries, je propose aux avocats une conciliation et leur donne un délai (souple) pour me faire connaître la position de leurs clients ; j’échange ensuite par courriels avec les avocats (solution la plus simple au moins à Paris où les courriers prennent des chemins nébuleux et pas forcément efficaces) en adressant un document (cf. document joint) précisant le cadre juridique de cette procédure, son déroulement, les garanties offertes et ce qui se passerait en cas d’échec de la recherche de conciliation, (en cas d’accord, voir la suite ci-après) ;

- mes collègues détectent à la mise en état des affaires éligibles de la conciliation et en cas d’accord me les transmettent (expérience versaillaise où contrairement à Paris aucun de mes collègues n’avaient souhaité faire eux-mêmes la conciliation) ;

- dans un dossier déjà plaidé, en cours de délibéré, identification d’une possibilité de conciliation après avoir, éventuellement, tranché une partie des questions juridiques en jeu ; deux solutions sont alors possibles : soit comparution des parties tendant à faire émerger une telle conciliation -sans le dire dans la décision- soit -ce que j’ai tenté depuis peu- explication claire, après avoir réglé certains points, de l’intérêt d’une démarche de conciliation, rendez-vous fixé avec las avoués pour faire connaître la position de leurs clients, puis, en cas de réponse positive, nouveau rendez-vous ;

* celle de mon collègue que je rapporte ici, telle qu’il l’a lui-même relatée dans un groupe de travail sur la médiation à la Cour où il relate sa pratique nouvelle depuis le mois de janvier 2008 pour les affaires venant à l’audience où il est conseiller rapporteur :

Nous avons en principe cinq affaires par audience pour lesquelles, sauf exception, l’ordonnance de clôture est rendue au moins une semaine à l’avance.

Préparant systématiquement un rapport écrit au regard du jugement de 1ère instance et des écritures des parties, je suis en mesure de détecter des affaires où un accord entre les parties pourrait être envisagé, dans environ une affaire sur deux.

Je demande alors à mon greffier d’aviser les avoués que la Cour souhaite la présence des parties à l’audience, à 15:00 (alors que l’audience commence à 14:00), ce qui permet d’y consacrer le temps nécessaire en fin d’audience sans faire attendre les avocats dans les autres affaires.

Bien que n’ayant que peu de recul, j’ai eu quelques surprises agréables le jour de l’audience puisque, dans plusieurs affaires, les avocats n’ont pas souhaité plaider, m’avisant qu’un accord était en cours. Dans une affaire, les parties se sont mises d’accord entre 14:00 et 15:00, et m’ont demandé de retranscrire leur accord par procès verbal, homologué ensuite par arrêt. Dans d’autres affaires, l’affaire a été renvoyée soit à la mise en état, soit à une audience prochaine, pour permettre la négociation entre les parties.

Pour les autres affaires, si les parties sont présentes (ce qui n’est pas toujours le cas, auquel cas l’audience se déroule normalement), la procédure est la suivante :

je fais mon rapport oral, en mettant l’accent sur les raisons pour lesquelles j’ai estimé qu’un accord pouvait être envisagé,

Dans une affaire, cette procédure a permis une conciliation, dans une autre une médiation, dans une troisième elle a échoué, et nous allons rendre un arrêt.

J’ajoute que pour les affaires où je n’ai pas demandé la présence des parties, je propose parfois aux avocats, après plaidoirie, une médiation, et je leur donne un délai de 15 jours pour me faire connaître l’accord - ou non - de leur client. Dans une affaire, ils ont été d’accord et nous avons donc ordonné une médiation.

Je pense que la matière des baux commerciaux est favorable à ce type de pratique. En effet, le bailleur et le locataire ont un bien en commun et devront normalement “vivre ensemble” de longues années. Ils ont donc intérêt, au-delà du procès qui les oppose, à apprendre à communiquer dans leur intérêt commun.”

J’exposerai plus loin combien ma préférence va vers la conciliation plutôt que la médiation, mais je pense que ces deux démarches procèdent de finalités convergentes celles de l’apaisement qui est, à mon sens une composante essentielle de la mission du juge (cf.supra);


2.L’audience de conciliation” se tient en chambre du conseil, hors la présence d’un greffier1, le procès verbal est établi par du juge en concertation permanente avec les parties et leurs avocats; le procès verbal est signé par le juge et les parties ;

Bien sûr, lorsque la recherche de conciliation se fait à l’occasion d’une comparution des parties, le greffier est présent.

Une question se pose, sans doute à l’esprit de beaucoup : rien n’est dit sur “l’audience de conciliation” dans le nouveau code de procédure civile qui hors les procédures à phases obligatoires -ou facultatives- de conciliation n’a pas organisé cela et ne conçoit, a priori que des audiences publiques? C’est une création prétorienne à partir des textes sur la comparution des parties qui prévoient expressément la possibilité d’y procéder en chambre du conseil (article 188 du code de procédure civile )


3. Arrêt donnant force exécutoire à la conciliation dans les jours qui suivent, parfois plus tard, lorsque l’accord comporte le versement d’une somme il est, en effet, souvent, convenu, en ce cas, que cet arrêt interviendrait seulement après la remise des fonds.


4. En cas d’échec, 5 à 10% des cas, plusieurs cas de figure selon les situations procédurales :

*soit l’affaire n’était pas fixée et elle l’est, alors, en priorité car il ne faut pas que le “circuit conciliation” soit un circuit dilatoire

* soit l’affaire est en délibéré et alors l’arrêt est rendu. J’ai coutume de dire que, normalement, cette démarche et l’audition des parties ne modifient pas forcément le contenu de la décision à intervenir mais les mots employés peuvent, au delà du nécessaire raisonnement juridique, être plus adaptés à la dimension humaine du litige, et l’appréciation sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile -ainsi que les dépens- peut aussi mieux tenir compte de celle-ci ; finalement la décision rendue a plus de chances d’être acceptée ;


5. La question de l’impartialité du juge en cas d’échec, se pose. Après avoir expérimenté une position stricte inspirée du système québécois, où l’affaire au fond ne peut, en aucun cas, être évoquée devant le juge “conciliateur” et avoir souvent rencontré l’incompréhension des justiciables devant cette façon de procéder (arrêtée à la demande des avocats) j’ai évolué en concertation avec les partenaires de justice et j’ai décidé de limiter cette règle -qui ne résulte aucunement du code de procédure civile qui dans les procédures à phase de conciliation obligatoire ou optionnelle, n’écarte pas le “juge conciliateur” du jugement du fond, tout au contraire en matière familiale- en proposant, seulement, aux parties le déport du juge ayant tenté la conciliation. Il faut dire que le climat de confiance dans lequel se déroule la recherche d’une conciliation fait que même si elle échoue, les parties estiment que le juge, qui a entendu leurs paroles directes, mérite leur confiance renouvelée pour le jugement de leur affaire.


Dans une affaire très importante que j’ai traité récemment -et qui est en train de s’achever par un accord portant sur de nombreux points- le fait que je garde le dossier en cas d’échec a même été présenté par les parties comme une condition de la démarche


Les garanties :




Quelques indications pratiques :





Quel est le sens d’une telle démarche?


Rappel

Il entre dans la mission du juge de concilier les parties (article 21 du Code de procédure civile). Malheureusement, cette mission, pour différentes raisons est trop souvent oubliée ou méconnue : contrairement à d’autres pays, il n’existe pas en France de culture de la conciliation judiciaire, la plupart des transactions sont conclues hors toute intervention du juge qui intervient seulement pour homologuer celle-ci en lui donnant force exécutoire (article 129 et 384 du nouveau Code de procédure civile ).

Pourtant je puis attester, à partir de mon expérience, que la conciliation est possible et souhaitable.


Possible


J’ai, l’expérience d’une cinquantaine de conciliations réussies avec un taux d’échec de 5 à 10%.


Pourquoi cette réussite?


Même si ma très longue expérience professionnelle (plus de 30 ans de métier) a pu favoriser l’émergence d’une capacité conciliatrice -jusqu’alors insoupçonnée pour moi- ce n’est en rien une réussite personnelle mais, incontestablement, cette réussite résulte de la convergence d’une attente des justiciables et d’une disponibilité d’esprit tournée vers une modalité “douce” de résolution des litiges. Cette réussite a été possible du fait de la participation active des avocats qui dès le départ ont soutenu cette démarche.


Il s’agit de “dénouer” les conflits.



Qu’est-ce qu’apporte la conciliation aux justiciables :



Qu’est-ce qu’apporte le juge par rapport à un médiateur non juge ?



Qu’est-ce qu’apporte au juge une telle pratique ?



Souhaitable


Restaurer la fonction de conciliation du juge me paraît, à la lumière de ma propre expérience, un impératif catégorique : quel temps de justice gagné lorsque la conciliation est acquise, même après plusieurs heures d’âpres discussions ! Quel temps de paix apporté aux parties, grâce à l’accord conclu avec leur active collaboration ! Voilà respectée la double finalité définie par Paul Ricoeur  avec un rapprochement des deux temporalités !


***


La médiation est un autre recours pour une justice acceptée mais elle a un coût sans conséquences lorsque l’affaire se conclut par un accord voire même en cas d’échec, lorsque l’on pense que le germe de la reprise des relations entre les parties produira ses fruits indépendamment d’un accord immédiat -par exemple parties qui sont amenées à continuer à avoir des relations ensemble. En revanche, en cas d’échec, hormis cette dernière hypothèse, l’on aura perdu du temps (six mois en général) en vain, outre le financement de la médiation (médiateur et conseils) ; à la chambre que je préside, nous proposons, en ce cas, que l’affaire revienne sans audience.


En cas d’accord, l’une des difficultés fréquente est que trop de médiateurs ne s’assurent pas de la réalité concrète d’un accord total et, faute d’accord, par exemple, sur les frais la procédure reste au rôle sans solution. Même si la radiation est ordonnée, l’on assure pas la sécurité juridique de la situation des parties.


Le conseiller de la mise en état peut en revanche lorsqu’un accord lui est soumis, article 768 du code de procédure civile, l’homologuer.




Le 10 décembre 2008


Simone GABORIAU

présidente de chambre

à la Cour d’appel de Paris

1

À Limoges, je faisais intervenir le greffier pour noter la conciliation, lorsqu’elle intervenait, selon un procès verbal établi sous la dictée du juge en concertation permanente avec les parties et leurs avocats; le procès verbal était signé par le juge, le greffier et les parties. Le contenu de l’article 130 du code de procédure civile : “La teneur de l’accord même partiel, est constatée dans un procès verbal signé par le juge et les parties”, qui ne fait pas état du greffier a fait qu’après réflexion à Versailles, il a été décidé pour “économiser” du temps de greffier, de ne pas mobiliser celui-ci et je pratique pareillement à Paris.