ENM/COUR D’APPEL DE PARIS
Formation du 11 décembre 2008
Intervention de Michèle GUILLAUME-HOFNUNG
Professeure des Facultés de droit
Présidente de l’Institut de Médiation Guillaume-Hofnung
Responsable du diplôme d’Université « LA MÉDIATION » de l’Université de Paris 2 (Panthéon-Assas)
L’investissement c’est aussi le vôtre manifesté par votre présence à cette formation. Elle se situe dans la mise en œuvre des préconisations de la Commission. La Commission Magendie a constitué à mon sens une étape importante en faveur du développement de la médiation. Elle a permis des prises de conscience lucides sur les pratiques antérieures et envisagé des pistes de mises en œuvre lucides ouvertes, à l’esprit de médiation.
Je retiendrai particulièrement son désir de :
Bien nommer pour bien faire, qui justifie que dans une première partie je me livre à une mise au point terminologique.
- Faire vivre les textes relatifs à la médiation judiciaire au plus près de l’esprit de la médiation et de ne pas couper la médiation judiciaire de la société civile.
GÉNÉRALITÉS « BIEN NOMMER POUR BIEN FAIRE :
La terminologie classique, principalement issue du Code civil ne pose pas de problème. L’approximation commence avec la vague alternative.
Définitions : des notions et un concept clairs
Les notions: conciliation, transaction, arbitrage :
La transaction occupe le chapitre 15 du code civil. L’article 2044 la définit comme un contrat par lequel les parties, au moyen de concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Il impose la forme écrite. La transaction fait partie des contrats synallagmatiques, la réciprocité des concessions la distingue du désistement de caractère nécessairement unilatéral. Il en résulte qu’on ne peut l’envisager que si les parties peuvent invoquer des prétentions réciproques. Elle a toujours un objet pécuniaire. L’article 2052 du code civil lui confère autorité de chose jugée, elle règle définitivement le litige qui ne peut plus être porté devant un tribunal. Elle existe aussi en droit pénal. La transaction est un contrat qui produit à la fois des effets extinctifs en ce qu’il emporte renonciation à porter le conflit devant un juge, mais qui crée de nouvelles obligations. La transaction va plus loin que le simple protocole d’accord, qui n’éteint pas le droit d’agir en justice, tout en témoignant d’un accord certes, mais provisoire.
D’une manière générale, la transaction est le point d’aboutissement vers lequel tendent les modes de règlement amiable.
L’arbitrage auquel le code civil consacre son titre 16, et le code de procédure civile son livre 4 (articles 1442 à 1507) tient une place particulière, puisque, contrairement aux autres MARC, il est quand même un mode juridictionnel mais, non étatique. Il constitue une dérogation partielle au monopole de la justice de l’Etat. C’est une procédure par laquelle les parties à un litige conviennent de le porter devant un arbitre que le code de procédure civile désigne sous l’expression tribunal arbitral. Elle débouche, non sur un simple avis, mais sur une sentence arbitrale à valeur juridictionnelle. Cependant elle ne tirera force contraignante que par la procédure d’exequatur devant le président du TGI.L’article 1460 NCPC dispense les arbitres du respect des règles établies pour les tribunaux. On distingue plusieurs catégories d’arbitrage selon le degré de liberté des parties dans le recours à ce mode et dans le choix de l’arbitre. Entre l’arbitrage de nature contractuelle et l’arbitrage obligatoire dans la plupart de ses étapes il existe une large gamme de procédures. Si en règle générale les arbitres doivent appliquer le droit, ils peuvent tenir compte de l’équité quand les parties leur ont confié la mission de statuer en amiables compositeurs.
-La conciliation ne bénéficie pas d’une définition législative, mais la doctrine la définit comme un mode de règlement des litiges grâce auquel les parties s’entendent directement pour y mettre fin, au besoin avec l’aide d’un tiers (conciliateur). La conciliation peut-être un mode alternatif, mais il ne faut pas oublier qu’il peut-être aussi juridictionnel car « il entre dans la mission du juge de concilier les parties » (article 21 NCPC). Depuis 1986 cela vaut aussi pour les cours administratives d’appel, et pour les tribunaux administratifs (art L.3 nouvel al.2 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel)
- Le concept : la médiation Pour qu’on puisse utiliser le terme médiation il faut et il suffit que ses deux critères se trouvent rigoureusement respectés à savoir le tiers clef de voûte du dispositif, et le processus de médiation. La médiation bénéficie d’une autonomie conceptuelle résultant de la réalité du tiers et du caractère ternaire de son processus. Elle se distingue des modes alternatifs, simples notions pouvant se passer du tiers ou dans lesquelles le troisième, par manque d’extériorité par rapport à une des parties (l’hôpital, la compagnie d’assurance) n’est qu’une apparence de tiers, et qui de plus, applique une procédure plus ou moins informelle dispensée de certaines lourdeurs (mais aussi des garanties) de la procédure classique tout en lui empruntant son langage donc son esprit, et non pas sur le processus original de médiation.
A l’issue d’une période incertaine marquée par ce que j’ai appelé « la période du primat de l’urgence pratique » dont les inconvénients pratiques ont favorisé la prise de conscience de la nécessité du « primat de l’urgence théorique » un consensus terminologique a pris forme. Je l’appelle le SMIC terminologique « seuil minimum d’intelligibilité conceptuelle » qui comme son équivalent salarial assure la survie, et au dessous duquel on ne peut descendre ». Je situe l’apparition de ce SMIC autour de 2000-2002 entre le séminaire de l’Union Européenne de Créteil et les travaux du Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale sous la présidence de Madame Monique Sassier. Il s’exprime dans leurs deux définitions pensées dans l’unité fondamentale de la médiation ainsi que dans la plénitude de ses fonctions et s’articulant autour de deux critères.
Même quand la médiation est présentée comme un MARC, deux différences notables la distinguent des autres modes amiables :
- le tiers est facultatif dans la conciliation, la négociation, la transaction, alors que la médiation comme le jugement ou l’arbitrage est ternaire dans sa structure. En revanche à la différence des modes juridictionnels, binaires en ce qu’ils tranchent, la médiation est aussi ternaire dans son processus. Elle cherche à dépasser l’affrontement pour permettre aux partenaires de trouver une issue par le haut, sans désigner un perdant. La médiation fonctionne dans ce qu’on appelle souvent la logique gagnant-gagnant.
- la recherche de l’accord est l’essence de la plupart des MARC : La conciliation met l’accent sur l’accord amiable. Le terme conciliation désigne à la fois le résultat, l’accord amiable et le moyen d’y parvenir, l’homonymie entre la fin et le moyen éclaire la logique de la notion, l’accord amiable est ontologiquement inscrit dans le procédé .La fin justifiant le moyen, celui-ci mettra moins l’accent sur la qualité de l’expression des parties que sur leur accord. On peut lors d’une conciliation éviter d’aborder les questions qui fâchent, dans la médiation il faut vider l’abcès. La médiation recherche avant tout la communication, ce qui peut d’ailleurs favoriser l’émergence d’un accord solide.
- quant à l’arbitrage si tant est qu’il puisse se qualifier de MARC, il diffère de la médiation en ce que l’arbitre dispose du pouvoir de trancher, alors que le médiateur tire sa puissance d’action et son autorité de son non pouvoir. L’autorité du médiateur s’apparente à l’auctoritas celle qui grandit ceux qui l’acceptent.
Le processus de médiation.
La médiation repose sur un processus propre, qui ne se réduit pas à une procédure informelle de gestion des réclamations. L’absence de pouvoir impose une méthode très précise, et interdit de trancher ou d’influencer selon un système binaire ou une logique d’assistance. Les deux grandes sortes de médiation (la médiation de différends et la médiation de différences) requièrent la même méthode exigeante respectueuse de la complexité des situations humaines, comme de la liberté des partenaires. Le passage du deux au trois est l’autre caractéristique qui marque le plus le processus de la médiation. Il va imposer de se démarquer de la représentation, la prise de partie, l’identification, l’assistanat.
Le processus repose sur l’autonomie de la volonté des personnes concernées y compris le médiateur, et sur leur responsabilité.
Pour cette raison il faudrait prêter une plus grande attention à l’élément intentionnel de la médiation, au lieu de se contenter de l’intention indifférenciée de se tourner vers un MARC quel qu’il soit. L’animus devrait être clairement identifié, l’animus de médiation ne se confond pas avec celui de conciliation ou de transaction ou de négociation. Je l’appelle l’animus mediandi.
La terminologie, utilisée dans le processus de médiation révèle tout un état d’esprit. On ne parle pas de parties, même dans l’hypothèse d’une médiation de conflits, car la notion de partie appartient à une pensée binaire. Le terme partie opère une partition entre des éléments en situation complexe, en particulier il occulte le fait que les deux éléments sont aussi les partenaires de ce conflit, qu’ils l’ont forgé et qu’ils ont ce conflit en commun (parfois le seul lien qui subsiste).
DÉFINITION POSSIBLE « un processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers - impartial, indépendant, sans pouvoir de trancher ou de proposer (sans pouvoir décisionnel ou consultatif) avec la seule autorité que lui reconnaissent les médieurs, - favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause. (Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, « La médiation » PUF, 2007, définition reprise par la délégation européenne de l’Assemblée Nationale, rapport FLOCH n°3696, page 16)
FAIRE VIVRE LES TEXTES RELATIFS LA MÉDIATION JUDICIAIRE AU PLUS PRÈS DE LA MÉDIATION
Cela requiert
D’apaiser les relations entre la Justice et la médiation
1) En se présentant comme « une justice douce » la médiation a fait son entrée par la mauvaise porte / magistrats
-ses promoteurs semblaient faire le procès de la justice accusée de lenteur, de lourdeur, de brutalité.
==méfiance, hostilité des milieux judiciaires. On peut comprendre que les acteurs de la justice « supposée dure » n’aient pas immédiatement éprouvé une grande confiance à l’égard d’un procédé inconnu et qui ne les respectait pas. On peut aussi comprendre qu’il n’est pas souhaité promouvoir un mode de règlement des conflits se présentant en rivalité, en alternative préférable et non en complémentarité
=dans un deuxième temps : réaction normale elle aussi de neutralisation ou d’assimilation.
2) en étant promue par la chancellerie comme un moyen de désengorgement de la justice son potentiel d’enrichissement humain n’a pas été suffisamment ni perçu, ni ensuite mis en avant quand il a été perçu.
Aujourd’hui notamment grâce aux efforts de gemme ces deux handicaps originels devraient s’estomper mais il faut compter avec un temps de latence que des formations et des informations en direction
des magistrats
des avocats
des greffiers
pourraient réduire.
La formation à laquelle nous participons aujourd’hui est de nature à contribuer au RESPECT MUTUEL entre justice et médiation. J’en remercie les organisateurs.
Car si la médiation a des qualités la Justice reste irremplaçable comme garante des libertés individuelles (article 66 de la Constitution de 1958) et des règles d’ordre public. La médiation ne doit pas devenir l’instrument de déjudiciarisation à outrance.
L’enthousiasme intempestif pour la médiation dont on ne percevrait que la fonction de mode alternatif présenterait également un risque. La médiation pourrait devenir l'instrument d'une justice communautariste renversant nos valeurs démocratiques et nos principes fondamentaux.
Dans une société démocratique, le juge doit conserver son rôle essentiel de garant des libertés individuelles et des règles d'ordre public.
Le risque est réel si l'on retient les propos attribués au président de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles, Lord Phillips of Worth Matravers souligné par le rapport Magendie:
-« il n'y a pas de raisons pour lesquelles les principes de la charia, ou de tout autre code religieux, ne pourraient pas être le fondement d'une médiation ou d'autres formes alternatives de résolution des conflits » (le Figaro- 4 juillet 2008)
« La médiation ne doit pas être considérée comme une déjudiciarisation ou une volonté masquée de se débarrasser d'une partie du contentieux. C'est un mode alternatif et non un substitutif. Elle répond à un besoin de diversification des modes d'intervention du juge et du règlement des conflits dans le cadre d'une justice apaisée, plus douce, mais à elle seule, elle ne saurait en aucun cas répondre à tous les défis actuels posés par la justice et notamment être considérée comme la solution idéale à la défaillance de la justice dans son adaptation à la complexification des échanges sociaux, comme l'a justement souligné Monsieur le professeur Nabil Antaki de l'université de Montréal. »
RETROUVER L’ESPRIT PREMIER DE LA MÉDIATION : Ne pas couper la médiation judiciaire de la société civile
La médiation transposée des MARC, très inspirée du modèle étatsunien, se distingue de la médiation indigène issue dans chaque pays des sociétés civiles. Cette transposition via les incertitudes de traduction a favorisé la confusion terminologique qui me semble responsable de la relative stagnation de la médiation judiciaire. En traduisant systématiquement par médiation ce qu’aux USA on appelait ADR ou conciliation, ce courant n’a pas permis à la médiation de développer son identité spécifique. Sous l’appellation « médiation » ce qu’ont acculturé les milieux judiciaires c’est très souvent une rénovation de la conciliation.
La médiation-MARC a nourri l’idée que la médiation n’avait qu’une fonction de règlement des conflits et la croyance qui vire au lieu commun quand on présente la médiation qu’une fois de plus l’Europe se trouvait à la remorque des USA.
Elle s’éloigne parfois de son berceau, la société civile. Les juristes vivent alors la médiation comme les hommes décrits par Platon dans le mythe de la caverne. Ils n’en voient que les ombres projetées sur les murs de celles-ci, sur les murs des palais de Justice ou de leurs espaces déconcentrés les MJD, maisons de justice et du droit. Certains ignorent que depuis bien longtemps, des acteurs venant d’autres secteurs de la société civile, personnes préoccupées de solidarité civique ont dans des cadres associatifs inventé la médiation préventive et créatrice de liens sociaux .La Commission a pu auditionner Madame ANKRAH qui a par son témoignage fait connaître la richesse des pratiques de médiation sociale interculturelles, la qualité des formations longues et complètes des médiatrices ainsi que leurs vigilances terminologiques et déontologiques (voir le témoignage reproduit dans le rapport Magendie).
Le président Magendie a exprimé le souhait de ne pas couper la médiation de la société civile. Il en a mesuré l’enjeu sociétal global et non pas seulement de politique judiciaire. Je cite à nouveau son avant propos :
« La médiation est un enjeu majeur de notre société dans la mesure où elle peut être source d'harmonie et de paix sociale dans un monde de plus en plus individualiste et conflictuel. »
L’avenir de la médiation y compris judiciaire est dans l’esprit de médiation sans cloisonnement.
Le groupe de travail, en faveur de la création d’un OBSERVATOIRE DE LA MÉDIATION, dont un certains nombre de formateurs ici présents faisait partie l’avait bien perçu. Il soulignait dans son exposé des motifs que « La médiation se trouve à la croisée des chemins. L’importance qu’elle a prise, l’ampleur de ses enjeux, le rôle de la loi sur la médiation judiciaire de 1995, le déploiement des médiations conventionnelles suscitent des demandes et des initiatives en vue de sa régulation. Il est aujourd’hui nécessaire de capitaliser les richesses nées de ce développement appelé à une croissance encore grandissante, encouragée par l’Union européenne, et en France par les plus hautes juridictions et des lois récentes. Il est nécessaire aussi de tenir compte de la diversité de ses formes comme de ses secteurs, d’agir pour que le foisonnement des actions et organisations ne masque pas leur sens et leur visée communes. »
Et de rappeler :
« ... La médiation est née de la libre initiative de ses pionniers issus de toutes les composantes de la société civile et se développe comme une liberté publique nouvelle. Sa régulation devrait donc bénéficier des principes applicables aux droits fondamentaux. »
Ce groupe réuni autour du député Jacques FLOCH avait pris comme référence la définition citée plus haut « un processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers - impartial, indépendant, sans pouvoir de trancher ou de proposer (sans pouvoir décisionnel ou consultatif) avec la seule autorité que lui reconnaissent les médieurs, - favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social , la prévention ou le règlement de la situation en cause. (Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, « La médiation » PUF, 2007, définition reprise par la délégation européenne de l’Assemblée Nationale, rapport FLOCH n°3696, page 16).
Il me semblait pertinent de terminer par l’évocation de l’Observatoire car avec l’organisation de formations comme celle d’aujourd’hui il fait partie des préconisations de la Commission Magendie.