Le juge et l'esprit de conciliation


Manifestement, la mise en œuvre pratique de la fonction conciliatrice du juge n'est pas, à l'heure actuelle, véritablement effective. En dehors de domaines particuliers, comme par exemple le droit de la famille, et hormis quelques initiatives ponctuelles de certains magistrats désireux de voir la conciliation judiciaire se développer, on entend dire fréquemment que "la situation sur le terrain est assez décevante".

Pourtant, tout juge est expressément invité, à travers une formule admirable et souvent répétée, à concilier les parties en litige : "il entre dans la mission du juge de concilier les parties" (article 21 du CPC).

Pourtant, la conciliation, et de manière plus générale les modes amiables de règlement des litiges font, depuis bon nombre d'années déjà, beaucoup parler d'eux si bien qu'il n'est même plus utile de présenter leurs mérites.


Partant de ce constat quelque peu paradoxal, il semble intéressant de chercher tout d'abord à comprendre pourquoi la place de la conciliation au sein de l’institution judiciaire est, dans la pratique, si limitée, pourquoi l'esprit de conciliation est finalement si peu présent dans l'enceinte judiciaire (I).

Il convient ensuite de réfléchir à la manière dont les choses pourraient évoluer, notamment en examinant comment il serait possible d'appréhender la conciliation judiciaire autrement. Asseoir, sur un plan théorique, la fonction conciliatrice du juge paraît essentiel puisque c'est sur la base de fondements solidement établis que cette fonction pourra s'épanouir et se développer. Mais il est tout aussi important de s'intéresser plus concrètement aux moyens d'action sur lesquels le juge doit pouvoir compter pour appuyer sa mission conciliatrice (II).


I. Les résistances à l'émergence de l'esprit de conciliation au sein de l'institution judiciaire


§1. Les résistances théoriques (d'ordre historique et culturel)

Les textes donnant mission au juge de concilier les parties en litige sont rarement contestés dans leur principe directement et explicitement. Pourtant, il semble que, pour diverses raisons, la conciliation ne soit pas considérée comme une fonction naturelle du juge. Nous sommes ici confrontés à des obstacles ou des résistances théoriques, de nature historique et culturelle. D’une part, nous nous heurtons à la primauté accordée à la conception traditionnelle de l'office du juge. Si l'on considère que le rôle central du juge est de trancher les litiges et de réaliser la volonté de la loi, il paraît difficile en effet d'envisager la conciliation comme une mission naturelle du juge. D’autre part, nous sommes influencés par l'évolution de la conciliation judiciaire elle-même (en tant qu'institution). L’idée prévaut que la conciliation serait historiquement associée à la conception de l’office de quelques juges seulement et qu'elle devrait rester exclusivement entre les mains de ces seuls magistrats. Ce préjugé constitue un autre obstacle à l'intégration pleine et entière de la conciliation dans l'office de tout juge.


A. La primauté accordée à la conception traditionnelle de l'office du juge : dire le droit et trancher les litiges

Les incertitudes entourant la mission conciliatrice du juge semblent traduire la forte conviction de la valeur dominante attribuée à la justice traditionnelle ; par ses caractères légaliste et processuel, cette justice traditionnelle se distingue fondamentalement du processus conciliatoire.


B. La conciliation traditionnellement associée à la conception de l'office de certains juges

La place de la conciliation au sein de la mission générale de tout juge peut susciter quelques réserves au regard de la volonté du législateur de distinguer, en les dissociant plus ou moins nettement selon les époques, l'office de certains juges, "empreint d'équité et de conciliation" et celui des autres juges.


§2. Les difficultés d'ordre pratique


A. L'articulation des phases de conciliation et de jugement face au devoir d'impartialité du juge

Il s'agit d'évoquer ici le problème lié à l'articulation des phases de conciliation et de jugement, c'est-à-dire à l'exercice successif des fonctions de conciliation et de juridiction. Beaucoup d’auteurs et de praticiens se sont effectivement demandés si l'intervention conciliatrice du juge n'était pas de nature à mettre en cause son impartialité lorsqu’il est contraint, en cas d'échec de la conciliation, de juger le litige.


B. Le manque de disponibilité des juges

A l'heure actuelle, le juge n'est pas, semble-t-il, en mesure d'exercer pleinement sa fonction de conciliation en raison d'une surcharge de travail. Le nombre des affaires nouvellement introduites devant les juridictions augmente constamment. Croire que, dans ces circonstances, les magistrats disposent toujours du temps nécessaire pour bien exercer leur fonction de conciliation paraît assez douteux.

II. Les conditions propices à l'émergence de l'esprit de conciliation au sein de l'institution judiciaire


Il est aujourd'hui essentiel de poser un regard différent sur la mission conciliatrice du juge. Pour faire naître (ou renaître) l'esprit de conciliation dans l'enceinte judiciaire, un certain nombre d'actions concrètes méritent d'être menées au sein des juridictions.

Mais il est également important de soutenir l'idée selon laquelle l'office du juge accueille pleinement la conciliation dans ses fondements, que la place de la conciliation au cœur de l'office du juge est totalement justifiée. La conciliation doit être perçue comme une mission naturelle des juges et la philosophie juridique posant la conciliation et la juridiction comme modes de traitement judiciaire des litiges d'égale légitimité doit aussi pouvoir s'imposer. En outre, il est capital que le juge puisse avoir à sa disposition des moyens d'action efficaces pour exercer pleinement sa mission conciliatrice, directement ou indirectement.

§1. Légitimation de la place de la conciliation au sein de l'office du juge


La conciliation s'inscrit naturellement et rationnellement dans la fonction générale de tout juge. Elle constitue, en outre, une mission essentielle des magistrats et non un simple pouvoir accessoire ou secondaire. La conciliation est une méthode de résolution des litiges capable de faire progresser le traitement des conflits, de le diversifier et de le rendre plus effectif.


A. La conciliation : une mission naturelle du juge

En raison de l'évolution de l'office du juge et des transformations de la fonction juridictionnelle elle-même qui confère à ce jour une place non négligeable à la recherche de solutions tendant vers l'équité et qui ne vise plus seulement à trancher les litiges, la conciliation doit être perçue comme une vocation naturelle de tout juge. Conciliation et juridiction, loin d'être antagonistes ou incompatibles, s'insèrent au contraire au sein d'une seule et même mission, une mission qui consiste aujourd'hui pour le juge à résoudre le litige de la meilleure manière qui soit ou plus largement encore à traiter la situation qui lui est soumise de la manière la plus adaptée.


B. La conciliation : une mission essentielle du juge

La conciliation, en tant que méthode de résolution des conflits, est essentielle dans l'office du juge : elle permet une bonne intégration de l'équité au sein du système juridique et favorise, d'un point de vue procédural, l'instauration d'une réelle justice de proximité.


§2. Les moyens d'action du juge-conciliateur


Asseoir, sur un plan théorique, la fonction conciliatrice du juge paraît essentiel pour que cette fonction puisse s'épanouir et se développer mais le juge doit aussi, plus concrètement, pouvoir compter sur des moyens d'action efficaces pour exercer son rôle conciliateur. Il s'agit de réfléchir ici à la manière dont les magistrats peuvent mettre en oeuvre leur mission de conciliation, que ce soit directement ou bien indirectement


A. La mise en œuvre directe de la mission de conciliation du juge

Le juge a toutes les raisons d'être confiant lorsqu'il exerce directement sa mission de conciliation. Il dispose en effet de nombreuses occasions de tenter un rapprochement des plaideurs en vue d'aboutir à un accord et de certains moyens ou atouts lui permettant de mener à bien son action. Il serait malgré cela opportun que tout juge puisse bénéficier d'une formation adaptée aux techniques de communication en vue d'accroître l'effectivité de sa fonction conciliatrice.

B. La mise en œuvre indirecte de la mission de conciliation du juge : l'opportunité du recours aux procédures de médiation/conciliation judiciaires déléguées

Les magistrats doivent être encouragés à recourir au mécanisme de conciliation par délégation puisqu'il s'agit, pour eux, d'un moyen d'exercer efficacement leur mission conciliatrice. Les procédures de médiation judiciaire et de conciliation déléguée ne doivent pas être perçues comme une forme de démission du juge mais bien comme une manière, pour celui-ci, d'exercer indirectement sa propre fonction conciliatrice. En effet, même s'il ne procède pas lui-même au rapprochement des parties en litige, le magistrat reste investi, à tous les stades du processus de délégation, d'importantes prérogatives.