Intervention de Fabrice Vert,
Mesdames et Messieurs,
La cour d'appel de Paris, et son premier président, qui malheureusement est empêché, sont très heureux d'accueillir dans cette première chambre ce colloque sur la médiation et la conciliation judiciaires, d'autant plus que ces dernières se trouvent à un moment clef de leur histoire.
En effet, l'année dernière a été adopté à l'unanimité par l'assemblée nationale le rapport “la médiation: un nouvel espace de justice en Europe" présenté par Monsieur Jacques Floch. En mai 2008 a été publiée la directive européenne sur la médiation civile et commerciale que la France devra transposer dans les trois années qui viennent. Encore plus récemment, la commission Guinchard sur la nouvelle répartition des contentieux a formé des propositions pour le développement de la médiation et de la conciliation. Nous attendons les décrets devant faire suite à ces travaux.
La cour d'appel de Paris s'est également mobilisée sur ces sujets. En février 2008, son premier président, Jean Claude Magendie, constatant le succès mitigé de la médiation judiciaire instituée par la loi de 1995, a créé un groupe de travail pluridisciplinaire à la cour sur la médiation, composé de la famille judiciaire, mais aussi de professeurs de droit, de représentants d'associations de médiation, d'instituts de formation à la médiation, avec des interventions de grands témoins choisis pour leur compétence sur le sujet abordé, dont certains nous font l'honneur d'intervenir aujourd'hui.
De ce rapport, qui a été présenté le 15 octobre 2008 et qui est accessible sur le site internet de la cour, il ressort un certain nombre d'acquis.
Chacun a en effet désormais conscience de l'importance d'une rigueur terminologique, de la nécessité d'une définition claire et précise de la médiation. "Bien nommer, c'est bien faire". Ce serait la confusion entretenue entre les notions de médiation, d'arbitrage, de conciliation, de négociation, qui pour certains pionniers de la médiation expliquerait l'absence de développement de cette dernière dans les pratiques judiciaires. Par ailleurs, la médiation et la conciliation ne doivent pas se vivre dans la concurrence mais davantage dans la complémentarité.
Ont également émergé l'exigence de principes déontologiques et la nécessité d'une formation des médiateurs. Il a été aussi généralement admis que le recours obligatoire à la médiation judiciaire est contraire à l'essence même de la médiation qui repose sur une liberté et une responsabilisation de ses acteurs.
Enfin, les initiatives individuelles ont trouvé leurs limites et pour les pérenniser, il faut structurer a minima un service de médiation dans les juridictions, en partenariat avec les auxiliaires de justice, et plus largement avec tous les acteurs du monde de la médiation.
Le rapport préconise la création d'une commission de médiation pluridisciplinaire à la cour, avec pour mission de promouvoir et de superviser les actions de médiation sur le ressort de la cour, de dresser une liste de médiateurs, la création d'une unité de médiation dans chaque juridiction. Nous avons également élaboré une charte des médiateurs rappelant les principes déontologiques à respecter par ces derniers, charte qui devra être signée par ceux qui souhaitent s'inscrire sur la liste. Nous préconisons aussi la généralisation de la possibilité pour le juge d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur afin de s'informer sur la médiation.
Si la théorie des modes alternatifs en France est relativement récente et est souvent considérée de manière approximative comme une transposition des “alternative dispute résolution” du modèle anglo-saxon, le phénomène est ancien.
Monsieur le premier président Drai ne faisait-il pas dater la première médiation judiciaire à Saint Louis, qui jugeant sous un chêne à Vincennes, avait pour habitude de désigner un de ses conseillers pour entendre les parties. Quant à la conciliation judiciaire, ce sont des lois d'août 1790 qui ont donné pour mission au juge de concilier les parties.
La conciliation est devenue un des principes directeurs du procès et une tentative obligatoire de conciliation a été imposée devant certaines juridictions, comme les conseils de prud'hommes et les tribunaux d'instance.
Mais il faut bien admettre que la conciliation judiciaire a été peu usitée dans les faits, notamment faute de temps pour les juges de se consacrer à cette mission qui est chronophage.
Alors comment expliquer ce regain d'intérêt ? Nous assistons depuis la seconde guerre mondiale à une explosion des contentieux qui peut trouver son origine dans un affaiblissement du rôle des corps intermédiaires et des solidarités primaires. La forme d’intervention traditionnelle du juge, qui consiste à trancher les litiges, s’est révélée insuffisante pour apporter une réponse adéquate à cette situation. La médiation et la conciliation présentent l’avantage de permettre une reconstruction du lien social de nature à éviter de futurs conflits entre parties concernées par une situation de rupture et qui sont appelées à continuer à entretenir des relations. Je pense en particulier au domaine familial où la médiation peut être la restauratrice du lien familial et aider à minimiser les répercussions sur les enfants. Elle est d’autant plus nécessaire, quand on sait par exemple, qu’aujourd’hui sur deux millions d’enfants de divorcés, la moitié ne voit pratiquement plus l’un des deux parents. La médiation représente donc indéniablement une valeur ajoutée, un enrichissement à l’intervention du juge et elle répond à l’évolution d’une société de plus en plus individualiste et conflictuelle.
La médiation et la conciliation ne doivent pas être considérées comme une déjudiciarisation ou une volonté masquée de se débarrasser d'une partie du contentieux.
Elles répondent à un besoin de diversification des modes d'intervention du juge et du règlement des conflits dans le cadre d'une justice apaisée, plus douce ; mais à elles seules, elles ne sauraient en aucun cas répondre à tous les défis actuels posés par la justice et notamment être considérée comme la solution idéale à la défaillance de cette dernière dans son adaptation à la complexification des échanges sociaux.
Parmi les signes positifs de développement de ces modes alternatifs de règlement des conflits, on peut souligner que l'institution des conciliateurs de justice , qui vient de fêter ses trente ans, connait un certain succès (il existe actuellement 1809 conciliateurs de justice qui traitent environ 120000 affaires par an), et que la médiation familiale est en constante progression depuis quelques années.
Les facteurs favorables au développement de cette dernière sont le financement parl'État des associations de médiation familiale et la faculté prévue par la loi pour le juge aux affaires familiales d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur.
Mais les intervenants à ce colloque, spécialistes éminents des modes alternatifs des règlements des conflits, vous diront mieux que moi les enjeux en la matière.
Je tiens à remercier particulièrement madame Brenneur, vice-présidente de Gemme, et l'ensemble des membres ici présents de GEMME, monsieur Battistoni, madame Vonfelt, monsieur Roberge pour leur participation à l'organisation de ce colloque.